Statement

Algérie : Après quatre ans de contestation, la société civile à l’agonie

23-02-2023

Paris-Genève, le 22 février 2023 – Quatre ans après le début du mouvement populaire et pacifique du Hirak, la situation de la société civile algérienne est plus que jamais préoccupante en raison des efforts constants déployés par les autorités algériennes pour faire taire toutes les dernières voix dissidentes du pays. A l’occasion de l’anniversaire du mouvement, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH-OMCT) appelle les autorités algériennes à mettre fin à la répression généralisée et au harcèlement continu des organisations de la société civile et des défenseur·es des droits humains dans le pays.

A partir du 22 février 2019, la population algérienne est descendue chaque semaine dans les rues d’Alger et d’autres villes du pays de manière spontanée et pacifique pour contester la candidature du président au pouvoir Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. Malgré le retrait de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, la mobilisation n’a pas faibli et la contestation s’est muée en une revendication plus large pour un changement profond du régime dans son ensemble, un « État civil et non militaire » et une « Algérie libre et démocratique », et a été durement réprimée par les autorités. Si la pandémie de Covid-19 a marqué un coup d’arrêt du mouvement en mars 2020, les manifestations ont repris en février 2021 avant de s’essouffler à nouveau dans les mois qui ont suivi. Mais la répression des autorités, elle, n’a jamais faibli.

Du début du soulèvement jusqu’à aujourd’hui, et malgré son caractère pacifique, le mouvement a été durement réprimé par les autorités algériennes. Des milliers de manifestants, et parmi eux des défenseur·es des droits humains, des militant·es, des avocat·es et des journalistes couvrant les manifestations ont été arbitrairement interpelé·es, arrêté·es, détenu·es, parfois très violemment, simplement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’association, de réunion et d’expression. Beaucoup ont été poursuivi·es en justice sous des accusations fallacieuses de « publication de documents de nature à nuire à l’intérêt national », d’« atteinte à l’intégrité du territoire national », d’« incitation à attroupement non armé », d’« atteinte à corps constitués », d’« incitation à la violence » ou encore de « terrorisme ».

C’est le cas par exemple de Kaddour Chouicha, figure de proue du mouvement et président de la section d’Oran de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), qui a été poursuivi à de multiples reprises, notamment pour des accusations de terrorisme. Il a également été empêché, tout comme son épouse Jamila Loukil, de quitter le territoire algérien en septembre 2022, alors qu’ils devaient rencontrer les instances de droits humains des Nations unies. Le militant écologiste arbitrairement détenu Mohad Gasmi, qui lutte contre l'exploitation du gaz de schiste au sud de l’Algérie, a lui aussi dû faire face à de multiples accusations, y compris de « terrorisme » et a été incarcéré à plusieurs reprises en raison de sa défense pacifique du droit à l’environnement. Pour sa part, la journaliste et médecin Amira Bouraoui, arbitrairement emprisonnée à plusieurs reprises et sous la menace d’un retour en prison à la moindre de ses prises de position, a décidé de fuir l’Algérie au début du mois de février 2023, ce qui a valu à son entourage resté dans le pays de lourdes représailles.

Face à cette répression tous azimuts, comme elle, beaucoup de défenseur·es des droits humains ont été poussé·es à l’exil pour pouvoir continuer à mener leurs activités. C’est le cas par exemple du blogueur et lanceur d’alerte Zaki Hannache, par ailleurs toujours poursuivi en Algérie sous des accusations d’ « apologie du terrorisme » et d’ « atteinte à l’unité nationale » notamment, du vice président de la LADDH et de la FIDH Aissa Rahmoune, ou encore du vice président de la LADDH Saïd Salhi.

Les médias et journalistes indépendants sont également dans le viseur des autorités, qui cherche à étouffer la liberté de la presse dans le pays. En mars 2020, le journaliste Khaled Drareni, figure de la défense de la liberté d’expression en Algérie, a été arbitrairement arrêté et a passé près d’un an en prison pour avoir couvert les manifestations du Hirak. Depuis sa libération en février 2021, il a été à nouveau arrêté à de multiples reprises et fait l’objet d’un harcèlement continu. Plus récemment, le 24 décembre 2022, Ihsane El Kadi, directeur du pôle éditorial de Radio M et du site d’informations en ligne Maghreb Émergent a été arrêté et placé en détention pour un présumé « financement étranger » de ses médias. Les locaux de l’agence Interface Médias, société éditrice des deux médias indépendants, ont également été mis sous scellés, et ce après des années d’intimidation.

En plus des arrestations arbitraires, du harcèlement judiciaire continu et des attaques physique des militants et journalistes couvrant le mouvement, les autorités algériennes s’attaquent également à un autre fondement de ce qui constitue une société civile indépendante : les associations et organisations non gouvernementales et leurs dirigeant·es. Après la fermeture de l’organisation SOS Bab El Oued suite à l’arrestation de son président en avril 2021, c’est la LADDH qui a fait l’objet d’une dissolution arbitraire par le Tribunal administratif d’Alger en juin 2022, en violation totale des règles en la matière. En effet, les instances dirigeantes n’ont appris la procédure visant l’association via les réseaux sociaux qu’en janvier 2023, sans aucune possibilité de recours. De même, le 23 février 2023, après des mois de procédure judiciaire, le Conseil d’État a confirmé la dissolution du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) suite à des poursuites engagées à l’encontre de l’association par le Ministère de l’Intérieur et des collectivités locales algérien en mai 2021. A l’heure actuelle, d’autres organisations renommées de défense des droits humains telles que SOS Disparus sont perpétuellement harcelées et menacées du même sort.

L’Observatoire exprime sa profonde inquiétude face au contexte extrêmement hostile dans lequel la société civile algérienne se voit contrainte d’opérer, et face aux attaques systématiques des autorités aux droits à la liberté d’association, de réunion et d’expression en Algérie.

L’Observatoire appelle les autorités algériennes à mettre un terme à cette politique répressive ainsi qu’à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre des défenseur·es des droits humains et des organisations de la société civile, et à garantir qu’ils et elles puissent mener leurs activités légitimes de défense des droits humains en toute liberté, sans entrave ni peur des représailles.

L’Observatoire appelle également les autorités algériennes à se conformer à leurs engagements internationaux en matière de droits humains et à garantir en toutes circonstances les droits à la liberté d’association, de réunion et d’expression, consacrés notamment dans le Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques.

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