Urgent Appeal

Algérie: Dégradation de l’état de santé et détention arbitraire de Larbi Tahar

16-06-2025

L’Observatoire a été informé de la poursuite de la détention arbitraire et de la dégradation de l’état de santé en prison de M. Larbi Tahar, en grève de la faim depuis le 21 avril 2025 pour protester contre ses conditions de détention. M. Tahar est l’une des principales figures du mouvement populaire pacifique et pro-démocratie du Hirak1dans la province d'El Bayadh, et l’ancien président du bureau de la Ligue algérienne de la défense des droits de l’Homme (LADDH) d’El Bayadh, organisation membre de la FIDH en Algérie, arbitrairement dissoute le 29 juin 2022.

Le 28 mai 2025, la direction de la prison d’Abadla, dans la Wilaya de Béchar, à 984 km d’Alger, où Larbi Tahar est arbitrairement détenu depuis le 26 mai 2025, après son transfert de la prison de Mecheria, a notifié à sa famille qu’il avait été sanctionné par la privation de tous ses droits, y compris le droit de visite familiale. Cette information n’a été communiquée à la famille que le jour même de la visite, alors qu’ils avaient parcouru 500 kilomètres pour lui rendre visite. Cette décision est contraire à la règle 43.3 de l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus, dites règles Nelson Mandela, disposant que « les sanctions disciplinaires ou mesures de restriction ne doivent pas consister en une interdiction de contacts avec la famille ».

Le 26 mai 2025, jour de son transfert de la prison de Mecheria, où il était détenu depuis le 24 septembre 2024, à celle d’Abadla, à son arrivée à la prison d’Abadla, M. Tahar a été tabassé et harcelé par des gardiens, qui ont tenté de le contraindre par la force et l’intimidation à interrompre sa grève de la faim. Celui-ci a fermement refusé, malgré ces violences, et a réaffirmé sa détermination à poursuivre son action tant que ses revendications ne seraient pas entendues. Quinze jours après ce transfert, au lieu de bénéficier d’une surveillance médicale dans le cadre réglementaire imposé pour les grévistes de la faim, M. Tahar a été placé dans une cellule collective avec d’autres détenus, en violation totale des procédures légales. Une pratique similaire avait déjà été observée à la prison de Mecheria.

Le 13 mai 2025, la famille de M. Tahar, qui a entamé une grève de la faim le 21 avril 2025 pour protester contre ses conditions de détention, avait pu lui rendre visite à la prison de Mecheria. Selon le témoignage de son fils, l’état de santé de M. Tahar est extrêmement préoccupant : perte de poids significative, grande faiblesse et état général de santé alarmant.

Larbi Tahar est poursuivi depuis le 8 avril 2023, lorsqu’il a été entendu par la police suite à une convocation émise par la section de la cybercriminalité de la police d’El Bayadh Sidi Cheikh Daira. Cette convocation et l’audition qui s’en est suivie faisaient suite à la diffusion et au partage sur les réseaux sociaux, entre le 8 janvier et le 8 avril 2023, de messages dans lesquels il critiquait certaines politiques et décisions du Gouvernement2.

Le 18 septembre 2024, soit plus d’un an après son audition du 8 avril 2023, Larbi Tahar a été de nouveau convoqué par la police judiciaire afin d’être entendu par le procureur de la République au bureau de la sécurité de la Daira d’El Abiodh Sidi Cheikh. Une fois sur place, il a été transféré au tribunal d’El Abiodh Sidi Cheikh, où il a été présenté au procureur de la République dans le cadre de deux affaires distinctes qui auraient été engagées à son encontre.

Dans le cadre de la première affaire, les charges retenues contre M. Tahar étaient liées aux messages pour lesquels il avait déjà été entendu le 8 avril 2023 et il a été poursuivi et inculpé sur la base des articles 144 bis (atteintes portées au Président) et 96 (diffusion de contenus susceptibles de porter préjudice à l’intérêt national) du Code pénal algérien. Il a également été condamné en application de l’article 54 bis du Code pénal, relatif à la récidive car le 19 mai 2020, il avait déjà été condamné à 18 mois de prison en vertu de ces deux articles.

Dans le cadre de la seconde affaire, Larbi Tahar a été poursuivi sur la base de l’article 149 bis du Code pénal algérien, qui sanctionne les « atteintes aux services de sécurité ou à leurs agents par écrit, dessin, enregistrement sonore ou visuel, ou par tout autre moyen ». Ces poursuites font suite à la publication de messages sur les réseaux sociaux dans lesquels il critiquait la position du Gouvernement concernant l’élection présidentielle du 7 septembre 2024.

Le 26 septembre 2024, le tribunal d’El Abiodh Sidi Cheikh a condamné Larbi Tahar en première instance à sept ans de prison et 500 000 DA (environ 3 335 Euros) d’amende pour la première affaire et à huit ans de prison et la même amende pour la seconde. M. Tahar a interjeté appel, et ces peines ont été réduites à deux ans de prison chacune le 20 novembre 2024. Un pourvoi en cassation a été formé par les avocats de la défense.

L’Observatoire rappelle que ce n’est pas la première fois que Larbi Tahar est arbitrairement détenu pour ses activités légitimes de défense des droits humains. Le 14 mai 2020, il a été arrêté pour « diffusion de contenus susceptibles de porter atteinte à l'intérêt national » et « atteinte au Président », puis condamné à 18 mois de prison et 100 000 DA (environ 670 Euros) d’amende, peine réduite à six mois le 23 mai 2020 avant sa libération le 5 juillet 2020 sur grâce présidentielle.

L’Observatoire rappelle que ces actes s’inscrivent dans un contexte de musellement de la société civile et de répression croissante des défenseur·es des droits humains et des journalistes en Algérie. Les citoyen·ne·s, militant·e·s, journalistes et écrivain·e·s algérien·ne·s font désormais face à un climat de répression généralisée. Des accusations telles que "menace à la sûreté nationale", “atteinte à l’unité nationale" ou "terrorisme" sont fréquemment utilisées pour criminaliser l’expression d’opinions dissidentes. L’intimidation des militant·e·s s’intensifie, avec des menaces directes, des arrestations arbitraires et des campagnes de diffamation orchestrées pour dissuader toute forme de résistance. Selon les estimations rapportées par le Collectif des familles de disparus en Algérie dans leur revue publiée en avril 2025, il y aurait environ 250 prisonniers d’opinion actuellement en Algérie.

Le 27 février 2025, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, le Groupe de travail sur la détention arbitraire, et la Rapporteuse spéciale sur le droit de réunion pacifique et la liberté d'association des Nations unies, ont exprimé leurs inquiétudes quant à la condamnation de Larbi Tahar car les charges retenues contre lui et sa condamnation semblent être liées à sa participation au mouvement populaire Hirak, ou à des déclarations publiques dans lesquelles il a exprimé des critiques à l'égard des autorités qui semblent conformes au droit à la liberté d'expression.

L’Observatoire dénonce la détention arbitraire et le harcèlement judiciaire contre Larbi Tahar, qui ne semblent viser qu’à le sanctionner pour l’exercice légitime de son droit à la liberté d’expression, et appelle les autorités algériennes à le libérer immédiatement et à garantir un environnement sûr et propice à l’exercice de ce droit.

L’Observatoire exprime son inquiétude face à la grève de la faim de Larbi Tahar, qui fait peser des risques sur sa santé et à son bien-être en détention, et appelle les autorités à veiller à ce qu’il ait accès à des soins médicaux adéquats et à garantir le respect de ses droits fondamentaux, notamment l’accès à un avocat et aux visites familiales.

1 Ce mouvement pacifique, appelé Hirak, trouve ses origines dans la contestation par le peuple algérien de la candidature du Président Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Peu à peu, les revendications des manifestant·es sont devenues plus larges et le peuple a réclamé un changement du régime dans son ensemble. Ainsi, bien qu’Abdelaziz Bouteflika ait retiré sa candidature à l’élection présidentielle début avril 2019, les manifestations se sont poursuivies notamment tous les vendredis à travers le pays. Lors de ces rassemblements populaires pacifiques, les manifestant·es réclament « un État civil et non militaire » et une « Algérie libre et démocratique ».

2 Entre janvier et avril 2023, M. Tahar a fait plusieurs publications sur les réseaux sociaux parmi lesquelles, le 8 janvier, il a dénoncé l’exploitation des terres d’El Bayadh par des investisseurs qataris et l'interdiction faite aux citoyens locaux de faire paître leurs animaux sur ces mêmes terres ; le 11 mars, il a affirmé son soutien au mouvement Hirak et a relayé, le 7 avril, des alertes sur l’intensification de la répression des défenseur·es des droits humains.

How You Can Help

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités algériennes en leur demandant de :

  1. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Larbi Tahar ainsi que de tou·te·s les défenseur·e·s des droits humains en Algérie ;
  2. Libérer immédiatement et sans condition Larbi Tahar et tou·tes les défenseur·es des droits humains arbitrairement détenu·es en Algérie, et en attendant sa libération, autoriser l’accès aux avocats de son choix ;
  3. Annuler les condamnations prononcées contre Larbi Tahar et mettre fin à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre ainsi qu’à l’encontre de tou·tes les défenseur·es des droits humains et veiller à ce qu’ils et elles puissent mener leurs activités légitimes sans entrave ni crainte de représailles ;
  4. Abroger ou réformer toute législation permettant une restriction arbitraire de la liberté d’expression et mettre un terme à l’instrumentalisation de l’arsenal juridique pour réprimer la liberté d’expression en Algérie ;
  5. Assurer le strict respect des libertés fondamentales et en particulier garantir en toutes circonstances le respect du droit à la liberté d’expression tel que consacré par les standards internationaux relatifs aux droits humains, et particulièrement à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.

Addresses

  • M. Abdelmadjid Tebboune, Président de l’Algérie, E-mail : president@el-mouradia.dz, X : @TebbouneAmadjid
  • M. Nadir Larbaoui, Premier Ministre de l’Algérie, E-mail : primeminister@pm.gov.dz
  • M. Abderrachid Tabi, Ministre de la Justice de l’Algérie, E-mail : contact@mjustice.dz
  • M. Rachid Bladehane Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Représentation Permanente de la République d’Algérie aux Nations unies à Genève, Suisse, E-mail : contact@mission-algeria.ch
  • M. Mohamed El Amine Bencherif, Ambassadeur de la République d’Algérie à Bruxelles, E-mail : info@algerian-embassy.be

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de l’Algérie dans vos pays respectifs.

Scroll to Top