Paris-Genève, le 16 mars 2023 – Deux membres d’une mission d’évaluation sur la situation des défenseur·es des droits humains menée par l’Observatoire (FIDH-OMCT) à Djibouti ont été, respectivement, expulsé et refoulée du pays par les autorités, sans qu’aucun motif ne leur soit communiqué, et alors qu’il et elle disposaient de visas valides. Le troisième membre de cette mission, résidant à Djibouti, risque quant à lui des représailles. L’Observatoire dénonce avec la plus grande fermeté cette expulsion et ce refoulement inadmissibles et enjoint les autorités djiboutiennes à garantir que les défenseur·es des droits humains puissent mener en toutes circonstances leurs activités sans entrave ni craintes de représailles.
Le 13 mars 2023, Alexis Deswaef, avocat en droits humains et vice-président de la FIDH, a été expulsé de Djibouti après que quatre agents de police sont venus le chercher dans la chambre d’hôtel où il séjournait à Djibouti-ville. Les policiers l’ont ensuite emmené de force à l’aéroport de Djibouti où il a été placé dans un premier avion à destination d’Addis-Abeba, en Éthiopie, avant de pouvoir prendre un second avion pour la Belgique. Lors de son expulsion, les autorités djiboutiennes ont saisi les notes que M. Deswaef avait prises durant les premiers jours de la mission, son téléphone et ses cartes SIM, ainsi que son passeport qui ne lui a été restitué qu’à son arrivée à Bruxelles. M. Deswaef était arrivé dans le pays le 11 mars 2023 avec un visa valide, qu’il avait obtenu en fournissant toutes les justifications requises, y compris le motif de la mission et son identité et profil, que les autorités connaissaient en raison de son implication en tant qu’avocat dans une communication individuelle déposée contre le République de Djibouti devant le Comité des droits l’Homme des Nations Unies en 2017.
La veille, le 12 mars 2023, bien qu’en possession elle aussi d’un visa valide, une chargée de programme du bureau Afrique de la FIDH qui devait participer à la mission s’était vue refuser l’entrée dans le pays au contrôle aux frontières de l’aéroport de Djibouti et avait été obligée d’embarquer dans un avion pour Istanbul, avant de pouvoir rejoindre la France. Tout comme pour M. Deswaef, aucun motif ne lui a été communiqué pour expliquer ce refoulement.
Tous deux s’étaient rendus à Djibouti dans le cadre d’une mission d’évaluation de l’Observatoire, censée se tenir du 12 au 16 mars 2023, et dont le but principal était de recueillir des témoignages actualisés auprès de défenseur·es des droits humains et membres de la société civile sur toutes les pratiques mises en œuvre par les autorités djiboutiennes pour réprimer et museler la société civile dans le pays, et d’enquêter plus particulièrement sur la question des droits civils et politiques. Des demandes d’audience avaient également été envoyées en amont de la mission à plusieurs autorités djiboutiennes afin de les informer de la situation, de recueillir leur avis et de formuler des recommandations sur la situation des défenseur·es dans le pays. Toutefois, aucune réponse à ces demandes n’a, à ce jour, été reçue par l’Observatoire.
Zakaria Abdillahi, avocat, ancien président de la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH), organisation membre de la FIDH à Djibouti, et vice-président de la FIDH, faisait également partie de cette mission. Durant les deux jours de présence de M. Deswaef sur le sol djiboutien, les deux avocats ont pu rencontrer plusieurs défenseurs des droits humains, mais également d’autres acteur·ices divers présent·es à Djibouti, et échanger avec eux et elles sur la situation préoccupante des droits humains dans le pays. Messrs. Deswaef et Abdillahi ont été suivis dans la majeure partie de leurs déplacements par une voiture banalisée avec à son bord un homme en uniforme des forces de l’ordre et un autre en civil.
En 2020, le Comité des droits de l’Homme des Nations unies s’est dit préoccupé par les actes de menaces, de harcèlement et d’intimidations mais aussi d’agressions physiques, de détentions arbitraires, de mises au secret, et parfois de poursuites judiciaires fallacieuses de défenseur·es des droits humains et de journalistes par les forces de police et de sécurité et par les autorités militaires. Tout porte à croire, selon la société civile djiboutienne, que depuis 2018 ces pratiques ont toujours lieu. De même, l’utilisation par les services de sécurité de surveillance physique et, selon la LDDH, d’écoutes téléphoniques, sont également des techniques mises en place pour contraindre les défenseur·es des droits humains au silence. La LDDH continue de documenter la répression gouvernementale, notamment une série d'arrestations et de détentions arbitraires de défenseur·es dans la région de Tadjoura, dans le nord du pays, en 2020 et 2021. Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU s’est également dit préoccupé par les allégations de poursuites judiciaires dictées par des motifs politiques.
De plus, les droits à liberté d’association, de réunion pacifique, le principe de la liberté syndicale et d’expression sont fortement entravés dans le pays. Les organisations de la société civile travaillant sur des questions relatives aux droits humains rencontrent toute une série d’obstacles légaux et administratifs à la création des associations et à la poursuite de leurs activités. Il leur est par exemple très difficile en pratique de s’enregistrer auprès des autorités, et même une fois les documents nécessaires remis au Ministère de l’intérieur, aucun récépissé ne leur est délivré. Les manifestations sont régulièrement durement réprimées et de nombreux journalistes et blogueurs sont emprisonnés.
L’Observatoire rappelle que la dernière mission internationale d’enquête menée par ses équipes dans le pays remonte à 2006 et avait donné lieu à la publication du rapport Djibouti : Les défenseurs des droits économiques et sociaux paient le prix fort. Depuis lors, l’Observatoire a tenté à plusieurs reprises d’organiser des missions de suivi dans le pays, toujours sans succès en raison du refus systématique des demandes de visas formulées auprès des autorités djiboutiennes. Pour cette mission de mars 2023 en revanche, les chargé·es de mission étaient en possession de tous les documents nécessaires pour entrer et séjourner à Djibouti pour la durée prévue de la mission. Leur expulsion et refoulement ne reposent donc à ce titre sur aucun fondement juridique. En outre, il est à craindre que l’accès au pays et aux défenseur·es sur place deviennent impossible pour quiconque travaillant dans le domaine des droits humains.
L’Observatoire dénonce l’expulsion et le refoulement inacceptables des membres de sa mission et rappelle que celle-ci a été préparée et se déroulait dans le respect de toutes les exigences en vigueur. L’Observatoire condamne par ailleurs la saisie illégale de documents et appareils informatiques d’Alexis Deswaef, dont il demande la restitution. L’Observatoire appelle les autorités djiboutiennes à ne pas entraver le travail légitime d’enquête et d’évaluation de la situation des droits humains dans le pays.
L’Observatoire exprime sa profonde inquiétude quant à la situation sécuritaire et aux risques de représailles qu’encourent aujourd’hui Zakaria Abdillahi et tou·tes les défenseur·es des droits humains qui ont été en contact avec les membres de la mission. L’Observatoire enjoint les autorités à garantir en toutes circonstances la sécurité, l’intégrité physique et le bien être psychologique de tou·tes les défenseur·es des droits humain à Djibouti et de garantir que celles et ceux ci puissent mener leurs activités sans entrave ni crainte de représailles.