L’Observatoire a été informé par le Centre de Documentation et de Formation aux Droits Humains (CDFDH), membre du réseau OMCT SOS-Torture, de l’arrestation et de la détention arbitraires, des actes de torture et du refus d’accès aux soins de M. René Missode Koffi, plus connu sous le pseudonyme « A votre avis », un créateur de contenu qui s’exprime sur les revendications de la jeunesse togolaise en matière de justice et de changement politique et qui avait participé aux manifestations du 6 juin 2025.
Dans la nuit du 27 au 28 juin 2025, René Missode Koffi dit « A votre avis », a été enlevé en direct au milieu d’un live qu’il réalisait sur le réseau social Tiktok relatif aux manifestations pacifiques en cours au Togo à cette période visant à dénoncer les conditions de vie socio-économiques difficiles dans le pays, ainsi que la détention arbitraire de certains défenseurs des droits humains. Il dénonçait dans son live la répression de la jeunesse lors de ces manifestations, en faisant état d’exécutions extrajudiciaires et de blessures causées aux manifestant.es par les forces de l’ordre. Dans un autre live Tiktok réalisé la veille, il avait sensibilisé la population aux mesures de sécurité à prendre avant de se rendre en manifestation et avait interpellé le Président du Conseil togolais, Faure Gnassingbé, sur les réalités sociaux-économiques du pays.
Ce soir-là, un groupe d’une cinquantaine de personnes masquées, en tenue noire, et munis d’armes à feu, de cordelette, de matraques et de fusils à gaz, a escaladé les murs de sa propriété, ont défoncé la porte du salon et ont cassé une fenêtre. Ils ont mis le petit frère de « A votre avis » et l’employée de maison de sa sœur au sol en les frappant avec des matraques et des cordelettes. « A votre avis » a également été mis à terre par trois hommes qui lui ont asséné des coups pendant près d’une heure. L’un des hommes avait son pied sur le cou de « A votre avis », tandis que deux autres le frappaient avec des matraques et des cordelettes, lui donnaient des coups de poing au visage et sur le corps, et le giflaient.
Les individus ont enlevé « A votre avis », et quatre autres individus dont son petit frère et l’employée de maison de sa sœur et les ont emmené·es dans un premier temps dans un lieu qui ressemblant selon « A votre avis » à un poste de police. Après y avoir été interrogés sur leur identité, « A votre avis », a été cagoulé et conduit dans un lieu inconnu où se trouvait une table sur laquelle étaient posées plusieurs armes, cordelettes et matraques. Toute la nuit du 27 au 28 juin, il est resté encagoulé, menotté et suspendu au plafond, ses pieds ne touchant pas le sol, lui provoquant des difficultés respiratoires alors qu’il est asthmatique.
Le 28 juin 2025, trois hommes ont installé « A votre avis » sur une chaise électrique en lui demandant : « Tu vas dire ce qu’on veut entendre ou on continue avec la violence et la douleur ? ». Lors de cet interrogatoire, il a été soumis à des chocs électriques à de multiples reprises, giflé, battu avec une cordelette et les hommes l’ont forcé à avouer qu’il était financé par le mouvement citoyen « Train de la Liberté ». Après l’interrogatoire, « A votre avis » a de nouveau été suspendu au plafond toute la nuit du 28 au 29 juin, cette fois sans cagoule, et frappé à coups de cordelette, un des hommes lui disant : « Un cadeau de la part du chef, celui dont tu dis ne pas avoir peur [Faure Gnassingbé]».
Après plusieurs jours passés dans ce lieu inconnu, « A votre avis » a été emmené à la Direction Centrale de le Police Judiciaires (DCPJ) de Lomé. C’est seulement à la DCPJ qu’il a été autorisé à recevoir la visite de sa mère pendant quelques minutes. Auparavant, il n’avait été autorisé à recevoir aucune visite, ni de ses proches ni celle d’un avocat.
Le 9 juillet 2025, « A votre avis » a été placé sous mandat de dépôt sur ordonnance du doyen des juges d’instruction pour « trouble aggravé à l'ordre public », « atteintes à la sûreté intérieure de l'État », « incitation à la révolte populaire » et déferré à la Prison civile de Lomé, où il reste détenu au moment de la publication de cet Appel Urgent. Il a dès lors été autorisé à recevoir des visites, mais ses demandes d’accès au médecin de son choix pour faire examiner et soigner les blessures causées par les actes de torture qu’il a subis ont toutes été refusées.
L’Observatoire rappelle que la liberté de réunion pacifique, pourtant consacrée à l’article 30 de la Constitution togolaise, à l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), est considérablement restreinte au Togo. Les manifestations des 5 et 6 juin et 26, 27, 28 juin 2025 ont été caractérisées par au moins 130 détentions arbitraires y compris de défenseur·es des droits humains et journalistes, et 21 cas de torture selon le Groupe d’Intervention Judiciaire SOS-Torture en Afrique. Par ailleurs, les coupures d’accès à Internet, les blocages des réseaux sociaux durant les manifestations et la limitation de la bande passante depuis lors empêchent les citoyen·nes et défenseur·es des droits humains de s’exprimer, d’accéder à l’information et de la diffuser, et de s’organiser de manière pacifique. Les défenseur·es tels que « A votre avis », qui s’expriment en ligne pour soutenir la contestation sociale font l’objet de représailles. C’est notamment le cas du poète engagé Honoré Sitsopé Sokpor, dit Affectio, ou encore du rappeur et cyberactiviste Narcisse Tchalla, dit Aamron, qui avaient tous les deux été arrêtés arbitrairement respectivement les 12 janvier 2025 et 26 mai 2025 pour avoir exercé leur liberté d’expression sur internet. Si Aamron a été libéré le 21 juin 2025, Affectio reste encore détenu à ce jour.
L’Observatoire condamne l’enlèvement, la détention au secret, les actes de torture, et les restrictions d’accès aux soins de René Missode Koffi dit « A votre avis », en ce qu’ils ne semblent viser qu’à le punir pour ses activités légitimes de défense des droits humains, et en particulier du droit de réunion pacifique. L’Observatoire condamne fermement tous les actes de harcèlement à l’encontre des manifestant·es et défenseur·es des droits humains qui portent la contestation sociale dans le pays.
L’Observatoire exhorte l’État togolais à garantir à René Missode Koffi, dit « A votre avis », l’accès rapide à des soins médicaux indépendants, conformément à la Règle 27 alinéa 1 de l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et au point 20(b) des lignes directrices de Robben Island, et à le libérer immédiatement, ainsi que toutes les personnes qui demeurent détenues pour avoir défendu une opinion ou manifesté pacifiquement.
Conformément à ces mêmes recommandations et aux obligations des autorités togolaises au titre de l’article 198 du Code pénal togolais, des articles 1er et 4 du Code de procédure pénale togolais, des articles 10, 11 et 21 de la Constitution togolaise et des articles 12 et 16 de la Convention des Nations unies contre la torture, l’Observatoire demande à l’État d’ouvrir une enquête prompte, efficace et impartiale concernant les actes de torture commis à l’encontre de René Missode Koffi dit « A votre avis ».
L’Observatoire appelle enfin l’État togolais à élargir et protéger l’espace civique numérique ainsi que le droit de réunion de toute urgence, afin que chaque citoyen·ne puisse participer à la vie politique, économique et sociale du pays en toute sécurité. La Rapporteuse Spéciale des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a en ce sens exhorté le gouvernement togolais à garantir le droit de réunion le 28 juin 2025.
How You Can Help
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités togolaises en leur demandant de :
- Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de René Missode Koffi, dit « A votre avis », y compris en garantissant son accès immédiat des soins de santé adéquats en détention ;
- Libérer immédiatement et sans condition René Missode Koffi, dit « A votre avis », tou·tes les défenseur·es des droits humains arbitrairement détenu·es, y compris Honoré Sitsopé Sokpor, dit Affectio, ainsi que l’ensemble des manifestant·es toujours détenu·es arbitrairement dans le pays ;
- Mener une enquête approfondie et impartiale sur les actes de torture et de mauvais traitements à l’encontre de René Missode Koffi, dit « A votre avis », afin d’identifier les responsables et de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial conformément aux instruments nationaux, internationaux et régionaux de protection des droits humains et aux recommandations des organes de traités des Nations unies ;
- Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de l’ensemble des défenseur·es des droits humains et manifestant·es pacifiques dans le pays, et tout mettre en œuvre pour qu’ils et elles puissent pleinement exercer leurs droits à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, conformément aux instruments nationaux, internationaux et régionaux de protection des droits humains et aux recommandations des organes de traités des Nations unies.
Addresses
- S.E.M. Jean-Lucien Savi de Tové, Président de la République du Togo, Email : dircomprtogo@gmail.com / secretariat.sg@presidence.gouv.tg
- M. Faure Essozimna Gnassingbé, Président du Conseil des ministres, X : @FEGnassingbe
- Mme Victoire Tomegah Dogbé, Ancienne Première Ministre, X : @PrimatureTogo
- M. Guy Mipamb Nahm-Tchougli, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Email : minjustice@gouv.tg / minjusticetogo@yahoo.fr, X : @MinJusticeTG
- M. Pacôme Yawovi Adjourouvi, Ministre des droits de l’Homme, chargé des relations avec les institutions de la République, Email : mindhrir@gmail.com / secretariat.ministre@droitsdelhomme.gouv.tg, X : @MDHRIR_Togo
- S.E. Ambassadeur Essis Essofa, Mission permanente de la République du Togo auprès des Nations Unies à Genève, Suisse. Email : info@mission-togo.ch / missiondutogo.geneve@yahoo.fr
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Togo dans vos pays respectifs.