L’Observatoire a été informé du refus d’entrée sur le territoire algérien de Mme Nassera Dutour, citoyenne algérienne et présidente du Collectif des Familles de Disparu·e·s en Algérie (CFDA) et de son antenne en Algérie, SOS Disparus. Le CFDA, organisation membre de la FIDH et de la Fédération Euro-Méditerranéenne contre les disparitions forcées (FEMED), a été fondé en 1998 et représente les familles algériennes touchées par la disparition de leurs proches durant les années 1990. Le fils de Nassera Dutour, Amine Amrouche, a été arrêté en janvier 1997 par des agents de l'État algérien et demeure porté disparu à ce jour. Depuis la disparition de son fils, Mme Dutour plaide inlassablement la cause des disparus en revendiquant le droit des familles à la vérité et à la justice, et est engagée dans la lutte contre l’impunité et pour l’instauration d’un État de droit en Algérie.
Le 30 juillet 2025, Nassera Dutour a été refoulée arbitrairement à son arrivée à l'aéroport Houari Boumediene d'Alger par les autorités algériennes. À son arrivée au poste-frontière à 16h30, elle a été retenue pendant trois heures et questionnée par la police avant d'être expulsée vers la France, d’où elle était arrivée, à bord du vol AF 1455 d'Air France, sans aucune justification légale. Ce refoulement s'est déroulé sans qu'aucune décision de justice ne la justifie et sans qu'elle ne fasse l'objet d'aucune interdiction d'entrée sur le territoire national. Lorsque Nassera Dutour a demandé aux officiers de police les raisons de son expulsion, ces derniers lui ont indiqué qu’elle était « membre d’une ONG », sans préciser de quelle organisation il s’agissait, mais pour de nombreux·ses algérien·nes, une ONG désigne une organisation internationale.
Nassera Dutour s'était présentée de manière régulière aux autorités frontalières avec ses documents d’identité algériens et ne représentait aucune menace à l'ordre public. Cette interdiction d’entrée sur le territoire constitue une violation flagrante de multiples instruments juridiques nationaux et internationaux.
Au niveau national, le refoulement de Nassera Dutour contrevient directement à l'Article 49 de la Constitution algérienne révisée en 2020, qui garantit expressément à tout citoyen le droit d'entrée et de sortie du territoire national. Cette mesure viole également l'Article 38 de la Constitution algérienne qui consacre la garantie des libertés fondamentales et des droits de l'Homme et du Citoyen.
Sur le plan international, ce refoulement viole l'Article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par l'Algérie en 1989, et en particulier son alinéa 4 qui énonce que “Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays”. Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a précisé que le droit d'entrer dans son propre pays est inaliénable et qu'aucune mesure administrative ne peut le remettre en cause, même pour des motifs politiques ou sécuritaires non judiciaires.
L’Observatoire rappelle que ce n’est pas la première fois que Nassera Dutour est victime d’actes d’intimidation de la part des autorités. Le 29 septembre 2016, elle a été arbitrairement arrêtée, détenue et interrogée suite à une manifestation pacifique à Alger contre l’impunité face aux disparus durant la guerre civile. Elle a fait l’objet de nombreuses campagnes de diffamation et de propagande et a été approchée à deux reprises par des membres des renseignements généraux qui l’ont intimidée en lui disant que leurs services étaient en train de constituer des dossiers contre elle. Elle a également fait l’objet de menaces mort. Par ailleurs, les différents sites internet de l’organisation font constamment l’objet d’attaques et sont fermés, ce qui engendre une perte systématique des contenus qui y étaient stockés, dont de la documentation relative aux disparitions forcées.
Ce rejet à la frontière de son propre pays représente un dangereux précédent et s'inscrit dans un continuum d'atteintes aux libertés fondamentales des défenseur·es des droits humains et de restriction de l’espace civique en Algérie : interdictions de manifester, harcèlement judiciaire des défenseur⋅es des droits humains, répression des syndicats, musellement de la presse, et désormais interdiction arbitraire d’entrée sur le territoire national. Le refoulement de Nassera Dutour révèle la volonté claire des autorités d’entraver les activités légitimes des défenseur·es des droits humains, et de réduire au silence celles et ceux qui dénoncent l’impunité liée aux disparitions forcées.
L’Observatoire dénonce et condamne avec fermeté l’interdiction d’entrée sur le territoire algérien de Nassera Dutour, qui ne semble viser qu’à la sanctionner pour l’exercice légitime de ses activités légitimes de défense des droits humains.
L’Observatoire appelle les autorités algériennes à lever immédiatement toute restriction à l'entrée de Nassera Dutour sur le territoire national algérien et à garantir son droit de circuler librement dans son pays de nationalité.
How You Can Help
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités agériennes en leur demandant de :
- Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Nassera Dutour ainsi que de tou⋅tes les défenseur⋅es des droits humains en Algérie ;
- Annuler sans délai toute mesure restrictive empêchant l’entrée de Nassera Dutour sur le territoire algérien et assurer le plein respect de son droit constitutionnel de circuler librement dans son pays ;
- Cesser tout harcèlement et toute intimidation à l’encontre de Nassera Dutour, de l’ensemble des membres du CFDA, de la FEMED ainsi que tou⋅tes les défenseur⋅es des droits humains en Algérie et garantir en toutes circonstances qu’ils et elles puissent mener leurs activités légitimes en faveur des droits humains sans entraves ni crainte de représailles. ;
- Assurer le strict respect des libertés fondamentales, et en particulier garantir en toutes circonstances le principe de non refoulement des citoyen·nes du territoire national ainsi que le respect du droit à la liberté d’expression, tels que consacrés par les standards internationaux relatifs aux droits humains, particulièrement aux articles 12 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.
Addresses
Adresses:
- M. Abdelmadjid Tebboune, Président de l’Algérie, E-mail : president@el-mouradia.dz, X : @TebbouneAmadjid
- M. Nadir Larbaoui, Premier Ministre de l’Algérie, E-mail : primeminister@pm.gov.dz
- M. Abderrachid Tabi, Ministre de la Justice de l’Algérie, E-mail : contact@mjustice.dz
- M. Rachid Bladehane Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Représentation Permanente de la République d’Algérie aux Nations unies à Genève, Suisse, E-mail : contact@mission-algeria.ch
- M. Mohamed El Amine Bencherif, Ambassadeur de la République d’Algérie à Bruxelles, E-mail : info@algerian-embassy.be
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de l’Algérie dans vos pays respectifs.