Urgent Appeal

Tunisie : Grève de la faim et détérioration de l’état de santé de Sihem Ben Sedrine

24-01-2025

L’Observatoire a été informé de la poursuite de la détention arbitraire et de la grève de la faim de Mme Sihem Ben Sedrine, Présidente de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) – instance créée après la révolution tunisienne de 2010-2011 avec pour objectif d’enquêter sur les violations des droits humains commises par l’État tunisien de 1955 au 31 décembre 2013 – et éminente militante des droits humains depuis près de quarante ans. Mme Ben Sedrine, qui a mené le processus de justice transitionnelle en Tunisie de 2014 à 2018, se trouve en détention préventive depuis août 2024.

Le 14 janvier 2025, jour du 14ème anniversaire de la révolution tunisienne de 2010-2011, Mme Ben Sedrine a annoncé entamer une grève de la faim pour contester sa détention arbitraire. Dans une lettre écrite depuis sa cellule de la prison des femmes de la Manouba, à Tunis, elle a déclaré : « J’entame une grève de la faim. Aux autorités tunisiennes : Je ne supporterai pas davantage l’injustice qui me frappe. La justice ne peut être fondée sur les mensonges et les calomnies, mais sur des éléments de preuve concrets et tangibles. En conséquence, je suis décidée à m’extraire, quoiqu’il m’en coûte, de ce trou noir où l’on m’a arbitrairement jetée. »

Le 22 janvier 2025, neuf jours après avoir entamé sa grève de la faim, Sihem Ben Sedrine a pu rencontrer des membres de sa famille ainsi que son avocate, Mme Samia Abbou. Mme Ben Sedrine a montré des signes inquiétants d’épuisement et a indiqué avoir été placée sous assistance respiratoire par les médecins de la prison.

L’Observatoire rappelle que Mme Ben Sedrine fait l’objet d’un acharnement judiciaire constant, et est poursuivie dans le cadre de six affaires différentes, dont quatre devant le pôle judiciaire économique et financier. Toutes ces affaires sont en lien avec son travail à la tête de l’IVD, où elle a mené des enquêtes sur les violations graves des droits humains en Tunisie.

Le 1er août 2024, le juge d’instruction a émis un mandat de dépôt à l’encontre de Mme Ben Sedrine dans le cadre de l’affaire relative à la falsification présumée du rapport final de l’IVD de 2019, pour laquelle elle est mise en cause depuis 2023. Dans cette affaire, Mme Ben Sedrine est accusée, en sa qualité de Présidente de l’IVD, d’avoir falsifié le rapport final en raison d’une différence entre la version présentée au Président tunisien de l’époque, Beji Kaid Sebsi, le 31 décembre 2018, et la version qui a été publiée au Journal officiel de la République Tunisienne (JORT) le 24 juin 2020.

En effet, le 28 décembre 2018 la Présidence de la République avait informé l'IVD que la date limite de remise du rapport au Président était fixée au 31 décembre 2018, lui donnant un délai de seulement trois jours pour finaliser le rapport de 3000 pages. Sous la direction de Mme Ben Sedrine, l'IVD décide alors de finaliser une version préliminaire du rapport afin de respecter ce délai. Le rapport préliminaire est adopté par le Conseil de l'IVD le 30 décembre 2018 en même temps que l'approbation des amendements nécessaires avant sa publication officielle au JORT. Le 26 mars 2019, l'IVD met en ligne sur son propre site internet le rapport final incorporant les modifications déjà approuvées par son Conseil. Ce même rapport sera finalement publié au JORT le 24 juin 2020. La procédure d’amendement du rapport a fait l'objet d'une note administrative interne.

Le jour même de l'émission du mandat de dépôt par le juge d’instruction, Mme Ben Sedrine a été arrêtée et placée en détention préventive à la prison des femmes de la Manouba, sans aucun fondement factuel justifiant sa détention et en l’absence de garanties du droit à un procès équitable, étant donné le manque d'indépendance et d'autonomie du pouvoir judiciaire en Tunisie.

L’Observatoire rappelle également qu’avant son arrestation, Mme Ben Sedrine a été entendue à plusieurs reprises par le juge d’instruction dans la même affaire, et a fait l’objet d’une interdiction de voyage en mars 2023 et d’une assignation à résidence le 7 mars 2024. Ces poursuites et sa mise en détention représentent une violation des garanties légales assurant l’immunité des membres de l’IVD et de ses agents dans l’exercice de leur mission. Ces attaques visent manifestement à décrédibiliser l’IVD et tout son travail, de la saisine des chambres spécialisées à son rapport final, et sapent au passage le droit des victimes à la réparation, aucun jugement n’ayant été rendu dans les 205 affaires transférées par l’IVD aux chambres criminelles spécialisées en justice transitionnelle depuis 2018, et aucune des recommandations pour garantir la non répétition des violations, incluant la réparation des victimes, n’ayant été mise en place par l’État.

Le 8 août 2024, l’affaire de Sihem Ben Sedrine a fait l’objet d’une communication d’un groupe d’experts des Nations unies qui ont demandé que justice soit rendue à la défenseure tunisienne et ont exhorté la Tunisie à « respecter son obligation de protéger les membres des commissions d’enquête sur les violations flagrantes des droits humains contre la diffamation et les poursuites civiles ou pénales engagées à leur encontre en raison de leur travail ou du contenu de leurs rapports. »

L’Observatoire exprime sa vive inquiétude quant à l'état de santé de Sihem Ben Sedrine et condamne la poursuite de sa détention arbitraire, qui ne semble viser qu’à la sanctionner pour l’exercice de ses activités légitimes de défense des droits humains.

L’Observatoire appelle les autorités tunisiennes à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir un suivi médical adéquat et l’accès aux soins pour Sihem Ben Sedrine, à la libérer immédiatement et sans conditions, et à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre ainsi qu’à celle de tou·tes les défenseur·es des droits humains dans le pays.

How You Can Help

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités tunisiennes en leur demandant de :

  1. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Sihem Ben Sedrine et de tou·tes les défenseur·es des droits humains en Tunisie ;
  2. Libérer immédiatement et sans condition Sihem Ben Sedrine et tou·tes les défenseur·es des droits humains arbitrairement détenu·es en Tunisie ;
  3. Garantir à Sihem Ben Sedrine un suivi médical adéquat, répondant à ses besoins de santé et aux conséquences de sa grève de la faim ;
  4. Mettre fin à tout acte de harcèlement – y compris au niveau judiciaire – à l’encontre de Sihem Ben Sedrine, et de tou·tes les défenseur·es des droits humains en Tunisie, et veiller à ce qu’ils et elles puissent exercer leurs activités sans entraves ni crainte de représailles.

Addresses

 

  • M. Kaïs Saïed, Président de la République, Email : contact@carthage.tn; Twitter : @TnPresidency
  • M. Kamel Maddouri, Chef de gouvernement, Email : boc@pm.gov.tn; Twitter: @TunisiaPM
  • Mme Leila Jaffel, Ministre de la Justice, Email : info@e-justice.tn
  • M. Kamel Feki, Ministre de l’Intérieur, Email : boc@interieur.gov.tn
  • M. Sabri Bachtobji, Ambassadeur, Représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations-Unies à Genève, Suisse, Email : at.geneve@diplomatie.gov.tn
  • M. Sahbi Khalfallah, Ambassadeur, Ambassade de la Tunisie à Bruxelles, Belgique, E-mail : at.belgique@diplomatie.gov.tn

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Tunisie dans vos pays respectifs.

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