6 août 2024 - La Coalition de la Société Civile pour la Justice Transitionnelle et les organisations de la société civile ont accueilli avec une grande consternation et colère l’émission d’un mandat d’arrêt contre la Présidente de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) et militante des droits humains, Mme Sihem Ben Sedrine, le premier août 2024.
Les signataires de ce communiqué estiment que la poursuite judiciaire et la persécution de Mme Sihem Ben Sedrine sur la base d’accusations malveillantes s’inscrivent dans un contexte politique marqué par la suppression des voix dissidentes, libres et des défenseurs des droits humains. Cette situation reflète également une volonté manifeste d’annuler le rapport final de l’IVD, qui vise à démanteler le système de corruption et de tyrannie en place avant la Révolution de 2010-2011.
De telles tentatives visent à exonérer les auteurs des régimes précédents et à assurer leur impunité, privant ainsi les victimes de leurs droits humains fondamentaux à la dignité et à la réparation. Cette poursuite constitue en outre une violation flagrante de la Loi organique n° 53 de 2013 du 24 décembre 2013, relative à l’instauration de la justice transitionnelle et son organisation, en particulier son article 69, qui interdit de poursuivre les membres de la commission sur la base du contenu du rapport final.
La poursuite et le harcèlement judiciaire visant Sihem Ben Sedrine illustrent une approche vindicative et sélective de la part d’un régime qui a choisi d’utiliser tous ses moyens pour cibler les défenseurs des droits humains et raviver d’anciennes affaires. Parallèlement, il maintient un silence judiciaire et une impunité totale pour ceux ayant violé les droits et les libertés durant l’ère de la dictature.
En effet, l’appareil judiciaire sous l’autorité exécutive a systématiquement bloqué près de 205 affaires référées par l’IVD, impliquant 1 500 personnes (dont 1 200 affiliées au ministère de l’Intérieur) accusées des violations les plus graves des droits humains, telles que le meurtre délibéré, la torture, la disparition forcée et l’abus de fonds publics, entre autres. La Coalition pour la Justice Transitionnelle, avec ses partenaires de diverses associations et organisations, a déjà exprimé ses inquiétudes concernant les nombreuses tentatives des autorités de mettre fin au processus de justice transitionnelle avant et après le 25 juillet 2021.
Depuis l’accession au pouvoir du président actuel, de nombreuses tentatives ont été faites pour saper les acquis de la Révolution et du processus de justice transitionnelle. Le régime de Kais Saied a en effet cherché à mettre en place un processus parallèle à travers la loi de réconciliation, niant ainsi aux victimes leurs droits à la justice et à la réparation. Il a également paralysé les chambres judiciaires spécialisées par des mutations judiciaires arbitraires et promu à plusieurs reprises des individus accusés de violations sous la dictature. Certains ont même été impliqués dans la rédaction unilatérale de la constitution par le président en 2022. Ces efforts continus visent à nier l’histoire du pays et à enterrer les vérités sur la corruption et la tyrannie des décennies de dictature, tout en compromettant les droits des victimes qui avaient cru en la justice transitionnelle et en la justice en général après la chute du dictateur Ben Ali en 2011.
Par conséquent, la Coalition Civile pour la Justice Transitionnelle et les organisations de la société civile signataires de ce communiqué :
- Condamnent et dénoncent harcèlement judiciaire, y compris les interdictions de voyager et les poursuites judiciaires culminant par l’émission d’un mandat d’arrêt le 1er août, subis par la Présidente de l’Instance Vérité et Dignité, Mme Sihem Ben Sedrine, pour son travail au sein de l’IVD ;
- Expriment leur solidarité absolue et inconditionnelle avec Mme Sihem Ben Sedrine, Présidente de l’Instance Vérité et Dignité et militante contre la tyrannie de Ben Ali. Ils exigent l’arrêt immédiat des poursuites malveillantes à son encontre et demandent sa libération sans délai, soulignant que ces actions violent de manière flagrante l’article 69 de la loi sur la justice transitionnelle de 2013 ;
- Condamnent l’utilisation persistante par l’État de tous ses moyens pour saper les réalisations du pays depuis 2011, nier la justice aux victimes, et cibler explicitement ceux qui ont œuvré pour rendre les auteurs responsables, tout en garantissant une impunité totale à ceux qui ont volé, pillé, torturé et tué le peuple tunisien pendant des décennies ;
- Ils rejettent la subjugation et la manipulation du pouvoir judiciaire selon des agendas électoraux pour éliminer l’opposition et faire taire les critiques. Cela inclut le harcèlement des défenseurs des droits humains, des anciens présidents de commissions, des acteurs de la société civile, des opposants politiques et des syndicalistes. Au lieu de maintenir un pouvoir judiciaire indépendant qui poursuit efficacement les auteurs et les violateurs des droits de l’homme, ces pratiques compromettent l’intégrité du système judiciaire.
Signatories
- Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
- Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux
- Association Tunisienne des Femmes Démocrates
- Association des Magistrats Tunisiens
- Réseau Tunisien pour la Justice Transitionnelle
- Association Beity
- Aswat Nissa
- Association Calam
- Intersection Association for Rights and Freedoms
- Association Tunisienne pour la Défense des Libertés Individuelles
- DAMJ
- Organisation Mondiale Contre la Torture dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
- Avocats Sans Frontières
- Fédération Internationale pour les Droits Humains dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
- No Peace Without Justice
- NOVACT
- Association Karama pour les Droits et les Droits et les Libertés
- Al Bawsala
- Association Yakadha pour la Démocratie en Tunisie
- Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme
- Association Al Khatt
- Association Tunisienne pour les Droits et les Libertés
- Nachaz