L'Observatoire a été informé de l’enlèvement et de la disparition forcée de Messrs. Amadou Sawadogo, cadre de la région du centre au sein du mouvement citoyen « Balai citoyen », et Miphal Ousmane Lankoandé, sociologue et secrétaire exécutif du même mouvement. Créé le 25 août 2013, le Balai citoyen a pour vision de « faire du Burkina Faso, une société juste et intègre, dans un État de droit démocratique ».
Le 20 mars 2025, Amadou Sawadogo a été convoqué au service régional de la sûreté de l’État à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, en raison de ses prises de position critiques sur le réseau social Facebook, où il a été interrogé et contraint de révéler les domiciles de deux autres militants désormais en clandestinité. Le lendemain, le 21 mars 2025, après s’être rendu à une seconde convocation au même service, il a été porté disparu, sans que les autorités ne fournissent d’explications ou sa localisation.
Le 30 mars 2025, Miphal Ousmane Lankoandé a été enlevé aux alentours de 11h45 devant son domicile dans le quartier Karpala, à Ouagadougou. L’incident s’est produit à son retour de Cotonou, capitale du Bénin, où il a participé à la première édition de l’école de l’activisme organisée du 24 au 28 mars 2025 par la Fondation de l’innovation pour la démocratie. Des hommes armés se présentant comme des gendarmes l’ont enlevé devant son épouse. Malgré les démarches répétées d’avocats auprès des institutions publiques, aucune information à son sujet ne leur a été communiquée.
Au moment de la publication de cet Appel Urgent, le sort et la localisation d‘Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé restent inconnus et leurs familles et collègues restent sans nouvelles.
L’Observatoire rappelle que d’autres membres du mouvement Balai citoyen ont précédemment fait l’objet d’arrestations en dehors de tout cadre légal. Me Guy Hervé Kam, avocat et défenseur des droits humains, cofondateur du Balai citoyen, a été arrêté le 24 janvier 2024 à l’aéroport international de Ouagadougou par la Sûreté nationale, alors qu’il rentrait d’un voyage professionnel, en violation des dispositions réglementaires de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA) régissant la convocation, l’arrestation ou la détention des avocats. Il a par la suite été relâché puis arrêté de nouveau à deux reprises et est actuellement inculpé et détenu arbitrairement pour « complot et association de malfaiteurs ». Les membres du Balai citoyen Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo ont quant à eux été enlevés et enrôlés de force dans l’armée burkinabè les 20 et 21 février 2024 respectivement, et sont toujours au front au moment de la publication de cet Appel Urgent, malgré une décision du Tribunal administratif de Ouagadougou du 6 décembre 2023, ordonnant la suspension de leur ordre de réquisition.
L’Observatoire rappelle par ailleurs que les autorités militaires au pouvoir au Burkina Faso accentuent leur répression contre les défenseur·es des droits humains et les journalistes, par le biais notamment d’enlèvements ciblés. C’est le cas des journalistes Guezouma Sanogo, président de l’Association des journalistes du Burkina Faso (AJB), Boukary Ouoba, vice-président de l’AJB, et Luc Pagbeguem, du média en ligne BF1 qui ont été enlevés le 24 mars 2025, ainsi que des journalistes Kalifara Sere, administrateur et chroniqueur du média en ligne BF1 enlevé le 19 juin 2024, Serges Oulon, journaliste d’investigation enlevé le 24 juin 2024 et Bayala Adama, chroniqueur enlevé le 28 juin 2024. Ils restent tous portés disparus au moment de la publication de cet Appel Urgent.
L’Observatoire rappelle également que ces enlèvements s’inscrivent dans un contexte de musellement de la société civile et de répression des défenseur·es des droits humains et des journalistes au Burkina Faso, en particulier celles et ceux dénonçant les manquements des autorités militaires au pouvoir dans le pays. Ce climat répressif, accentué par la forte pression des autorités pour un « traitement patriotique de l’information », mène les médias et journalistes indépendant·es à l’auto-censure, comme cela est analysé dans le rapport de l’Observatoire de février 2025 « Espace civique et défenseur·es des droits humains au Sahel : convergence régionale des pratiques de répression ». L’Observatoire y souligne que la répression au Burkina Faso a pris une dimension très inquiétante avec la signature de deux décrets en novembre 2022 et avril 2023 par le Président de la Transition, permettant de réquisitionner toute personne âgée de plus de 18 ans physiquement apte. Dans le cadre de l’application de ces décrets, les autorités ont désormais recours de manière sélective et discriminatoire à l’enlèvement et à la disparition forcée des défenseur·es et des opposant·es politiques puis à leur enrôlement forcé comme supplétifs de l’armée, et une dizaine de défenseurs ont reçu des ordres de réquisition délivrés par le Commandement militaire. Dans ce contexte, l’Observatoire exprime sa plus vive inquiétude face au risque élevé de réquisition forcée d’Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé, et s’y oppose fermement. En mars 2024, le Comité des Nations unies sur les disparitions forcées s’est d’ailleurs dit « préoccupé par les allégations récentes faisant état d’une pratique de disparition forcée ciblant des défenseurs des droits humains, des journalistes et des opposants politiques » au Burkina Faso et a estimé que plusieurs pratiques mises en œuvre dans le cadre de l’application de ces décrets étaient « susceptibles de constituer des disparitions forcées ».
L’Observatoire condamne l’enlèvement et la disparition forcée d’Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé qui ne semblent viser qu’à les punir pour leurs activités légitimes de défense des droits humains.
L’Observatoire enjoint les autorités militaires au pouvoir au Burkina Faso à tout mettre en œuvre afin que le sort et la localisation d’Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé soient connus, qu’ils soient libérés de façon immédiate et inconditionnelle et que toute la lumière soit faite sur leur enlèvement et leur disparition forcée.
L’Observatoire appelle également les autorités militaires au pouvoir au Burkina Faso à garantir les droits à la liberté d’expression et d’association, tels que consacrés par les standards internationaux relatifs aux droits humains, et particulièrement aux Articles 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, et aux Articles 9 et 10 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.
How You Can Help
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités militaires actuellement au pouvoir au Burkina Faso en leur demandant de:
- Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique d’Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé et de l’ensemble des défenseur·es des droits humains au Burkina Faso ;
- Tout mettre en œuvre pour que le sort d’Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé, et le lieu où ils se trouvent soient révélés, qu’ils aient accès à leurs familles, et qu’ils soient libérés immédiatement et sans conditions ;
- Mettre immédiatement un terme à la pratique systématique de la disparition forcée, ainsi qu’à l’enrôlement ciblé des défenseur·es des droits humains et journalistes dans le but de museler toute voix discordante ;
- Mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre d’Amadou Sawadogo et Miphal Ousmane Lankoandé, ainsi que de tou·tes les défenseur·es des droits humains et journalistes dans le pays et veiller à ce qu’ils et elles puissent mener leurs activités légitimes de défense des droits humains en toutes circonstances, sans entraves ni crainte de représailles ;
- Assurer le strict respect des libertés fondamentales et en particulier garantir en toutes circonstances le respect du droit à la liberté d’expression et d’association, tels que garantis par le droit international des droits humains, en particulier par les Articles 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les Articles 9 et 10 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples auxquels le Burkina Faso est partie.
Addresses
- Capitaine Ibrahim Traore, Président de la Transition du Burkina Faso, Twitter : @CapitaineIb22
- SEM. Jean-Emmanuel Ouédraogo, Premier Ministre du Burkina Faso, Twitter : @J_E_Ouedraogo
- Me Edasso Rodrigue Bayala, Ministre de la Justice, des Droits humains, chargé des Relations avec les institutions, Garde des Sceaux du Burkina Faso, Email : info@justice.gov.bf ;
- SEM Jean Marie Karamoko Traore, Ministère des Affaires Étrangères, de la Coopération Régionale et des Burkinabè de l’Extérieur ; E-mail : mae@diplomatie.gov.bf ; Twitter : @JeanMarieTraore
- Commission Nationale des droits humains du Burkina Faso, Email : cndh@cndhburkina.bf , Twitter : @BurkinaCndhX
- S.E. Mme Sabine Bakyono Kanzie, Mission permanente du Burkina Faso auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, Email : secretariat@missionburkinafaso-ch.org / info@ambaburkinafaso-ch.org
- Monsieur M. Oumarou Ganou, Conseiller des affaires étrangères, Ambassadeur, Représentant permanent du Burkina Faso auprès de l’Organisation des Nations Unies à New York (États Unis d’Amérique), Mission Permanente Du Burkina, Email : bfapm@un.int
- Ambassade Mission Permanente du Burkina Faso auprès de l’Union Africaine à Addis Abeba, Éthiopie / Email : ambaburkina.addis@diplomatie.gov.bf / Ambaburkina.addis@gmail.com ;
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Burkina Faso dans vos pays respectifs.