L’Observatoire a été informé des menaces et actes d’intimidation à l’encontre de M. Joel Mbiya Kanyinda, journaliste pour le site d’information Kis24.info à Kisangani, spécialisé dans l’investigation, l’alerte citoyenne et la dénonciation des violations des droits humains, et coordonnateur provincial de Filimbi Tshopo, mouvement citoyen qui lutte pour la démocratie et le respect des droits à la liberté d'expression, d'association et de rassemblement, et contre la mauvaise gouvernance et les violations des droits humains, en mobilisant particulièrement la jeunesse congolaise.
Le 18 avril 2025, Joel Mbiya Kanyinda a publié un message sur sa page Facebook dénonçant les irrégularités du processus de passation d’un marché public conclu le 19 novembre 2024 pour la réalisation d’un documentaire sur la guerre des six jours à Kisangani1 commandé par le Fonds de réparation des indemnisations des victimes des activités illicites de l’Ouganda en République démocratique du Congo (FRIVAO)2 au studio DIVO pour un montant de 1,2 million de dollars (approximativement 1,07 million d’Euros). Selon les informations reçues, le FRIVAO n'aurait procédé à aucun appel d’offres public, comme l’exige pourtant la réglementation en vigueur pour une opération d’un tel montant. Le marché aurait été passé de gré à gré, sans aucune transparence, et le Président du Conseil d’administration du FRIVAO a déclaré dans une lettre officielle (Réf. : N/RBKL/PRES CA/FRIVAO/KIS/2025, datée du 27 mars 2025) ne pas avoir été informé de cette opération. Selon les révélations de M. Kanyinda, le film devait être livré sous 48 jours après la passation du marché, mais six mois plus tard, le documentaire en question n’a toujours pas été présenté, ce qui soulève des doutes sérieux sur la réalité de sa production.
Quelques minutes après la publication de ces accusations sur Facebook, M. Chançard Bolukola, coordonnateur ad interim du FRIVAO, a contacté M. Kanyinda via la messagerie privée du réseau social en l’accusant de « trahison ». Peu de temps après, Jadot Bakam Kalala, proche de M. Bolukola, a appelé M. Kanyinda pendant plus de 20 minutes pour essayer de le convaincre de modifier sa publication, ce qu’il a refusé.
Le 19 avril 2025, M. Gentil Sefu, militant pro-démocratique reconnu, qui occupe actuellement un poste ad hoc au sein de la commission de la société civile du FRIVAO, a également tenté de persuader M. Kanyinda d’effacer sa publication, via des appels et messages vocaux sur WhatsApp, affirmant qu’elle contenait de fausses accusations. Il l’a accusé auprès de plusieurs personnes, y compris certains de ses collègues du mouvement Filimbi, d’être corrompu par le président du Groupe Lotus, M. Dismas Kitenge, dans une claire manœuvre visant à nuire à la réputation des deux défenseurs des droits humains.
Des appels et messages anonymes, y compris des menaces de mort et des pressions directes se sont ensuite multipliés dans le but d’intimider M. Kanyinda et de le forcer à retirer son article ou à le modifier, ce qu’il a refusé de faire.
L’Observatoire rappelle que ces actes se produisent dans un contexte d’attaques systématiques contre les défenseur·es des droits humains et de restriction manifeste de l’espace civique en RDC, en particulier depuis l’accession à un second mandat du président Félix Tshisekedi en décembre 2023. La situation des journalistes et défenseur·es des droits humains s’est par ailleurs gravement détériorée depuis janvier 2025, avec l’intensification du conflit à l’est du pays entre le M23, soutenu par l’armée rwandaise selon les Nations unies, et l’armée régulière de la RDC (FARDC). Les groupes armés rebelles et le gouvernement congolais réduisent au silence les voix qui dénoncent les abus et violations des droits humains, comme celle du journaliste Amisi Musada Emérite, agressé le 15 avril 2025 à Bukavu.
L’Observatoire exprime sa vive inquiétude face aux menaces et actes d’intimidation à l’encontre de Joel Mbiya Kanyinda, qui ne semblent viser qu’à le dissuader d’exercer ses activités légitimes de défense des droits humains et son droit à la liberté d’expression.
L’Observatoire appelle les autorités congolaises à tout mettre en œuvre pour faire cesser ces menaces et actes d’intimidation, à mener une enquête indépendante, rigoureuse, impartiale et transparente afin d’en identifier les responsables et de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial. L’Observatoire appelle également les autorités congolaises à respecter la loi n° 23/027 du 15 juin 2023 relative à la protection et à la responsabilité du défenseur des droits de l’Homme en RDC, notamment ses articles 13, relatif au droit d’informer sur les violations des droits humains, 14 et 18 relatifs à la protection des défenseur·es, et 15 relatif à la punition des violations commises à l’égard des défenseur·es.
1 Les armées du Rwanda et de l’Ouganda ont envahi l’est de la RDC durant la deuxième guerre du Congo (1998-2003). En juin 2000, les deux armées d’occupation se sont affrontées violemment pour prendre le contrôle de la ville de Kisangani et de ses ressources naturelles, dans le nord-est de la RDC, au cours de la guerre dite « des Six jours ». Cet affrontement à Kisangani a causé la mort de plus de 1.000 civil·es, et occasionné plusieurs centaines de blessé·es, et de nombreux dégâts dans la ville.
2 Dans son arrêt sur la question des réparations en l’affaire Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) rendu le 9 février 2022, la Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations unies, a ordonné à l’Ouganda de verser 325 millions de dollars d’indemnités à la RDC au titre des dommages causés par les violations d’obligations internationales de son fait, telles que constatées par la Cour dans son arrêt du 19 décembre 2005. Le Fonds spécial de réparation et d’indemnisation des victimes des activités armées de l’Ouganda en RDC (FRIVAO) a été instauré par décret des autorités de la RDC en 2019 et a commencé à être alimenté par l’Ouganda en 2022. En juin 2024, l’indemnisation des victimes a commencé mais la gestion de ce Fonds fait l’objet de nombreuses controverses, ainsi que de soupçons de corruption.
How You Can Help
- Garantir en toutes circonstances la sécurité, l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Joel Mbiya Kanyinda ainsi que de tou·tes les défenseur·es des droits humains en RDC, et veiller à ce qu’ils et elles puissent exercer leurs activités sans entraves ni peur de représailles ;
- Mener une enquête indépendante, rigoureuse, impartiale et transparente sur les menaces et les actes d’intimidations à l’encontre de Joel Mbiya Kanyinda afin d’identifier les responsables et de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial conformément aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits humains ;
- Garantir en toutes circonstances le droit à la liberté d’expression dans le pays, tel que consacré par les standards régionaux et internationaux de droits humains, et en particulier par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- Respecter en toutes circonstances les dispositions de la loi n° 23/027 du 15 juin 2023 relative à la protection et à la responsabilité du défenseur des droits de l’Homme en RDC, notamment ses articles 13, relatif au droit d’informer sur les violations des droits humains, 14 et 18 relatifs à la protection des défenseur·es, et 15 relatif à la punition des violations commises à l’égard des défenseur·es.
Addresses
- S.E M. Félix Tshisekedi, Président de la République, E-mail : cabinet@presidentrdc.cd, X : @FelixUdps ;
- Mme Judith Suminwa Tuluka, Première ministre, E-mail : cabinet@primature.cd, X: @SuminwaJudith ;
- M. Constant Mutamba, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, E-mail : minjustdh@gmail.com, X : @ConstantMutamba ;
- Mme Chantal Chambu Mwavita, Ministre des droits humains, E-mail : min-droitshumains@yahoo.fr, X : @ChantalChambu ;
- M. Élie-Léon Ndomba Kabeya, Premier président de la Cour de cassation, E-mail : premier-president-ndomba@cassation.cd, X : @ndomba_elie ;
- M. Firmin Mvonde, Procureur Général près la Cour de cassation; E-mail : pgr_rdc@yahoo.fr, pgr_rdcongo15@yahoo.com ;
- M. Aimé Clovis Guillond, Ambassadeur, Représentant permanent de la République démocratique du Congo auprès des Nations-Unies à Genève, Suisse, E-mail : missionrdc@bluewin.ch / drcgeneva15@gmail.com
- M. Christian Ndongala Nkuku, Ambassadeur, Ambassade de la République démocratique du Congo à Bruxelles, Belgique, E-mail : secretariat@ambardc.eu.
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la République démocratique du Congo dans vos pays respectifs.