L’Observatoire a été informé de sources fiables de la détention arbitraire continue et de la poursuite du harcèlement judiciaire à l’encontre du défenseur des droits humains Germain Rukuki, employé de l’Association des juristes catholiques du Burundi (AJCB), président de « Njabutsa Tujane » [1], et ancien employé de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture Burundi (ACAT-Burundi).
Selon les informations reçues, le 22 novembre 2018 la Cour d’Appel de Bujumbura, en déplacement à Ngozi pour l’occasion examinera en appel le dossier de Germain Rukuki, condamné le 26 avril 2018 à 32 ans d’emprisonnement par le Tribunal de Grande Instance de Bujumbura pour « mouvement insurrectionnel », « atteinte à la sûreté intérieure de l’État » [2] et « rébellion » [3] (voir rappel des faits ci-dessous).
L’Observatoire déplore le harcèlement judiciaire dont fait l’objet M. Rukuki, et rappelle qu’il est détenu arbitrairement depuis juillet 2017 pour avoir collaboré avec l’ACAT-Burundi, organisation qui documente les actes de torture et autres crimes commis dans le pays, principalement par le régime du président Pierre Nkurunziza.
L’Observatoire condamne fermement les violations flagrantes des garanties prévues par le Code de procédure pénale burundais dans le dossier de M. Germain Rukuki en premier instance, et appelle les autorités à mettre terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre. Les autorités burundaises devraient le libérer de manière immédiate et inconditionnelle, sa détention arbitraire ne visant qu’à sanctionner ses activités pacifiques et légitimes de défense des droits humains.
Rappel des faits :
Le 13 juillet 2017 vers 6 heures du matin, des membres de la police municipale de Bujumbura se sont rendus au domicile de M. Germain Rukuki et ont procédé à une perquisition avant de réquisitionner l’ordinateur de son épouse et de l’arrêter sans mandat. Escorté par quatre pick-ups de la police, il a ensuite été conduit à l’AJCB pour réquisitionner son ordinateur et des documents. L’opération a été conduite par l’officier de police judiciaire M. Jean Pierre Nitunga, en coopération avec le Service National de Renseignement (SNR), qui l’a commandée.
Le jour même, le SNR a confirmé l’arrestation de M. Rukuki auprès de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH) burundaise.
Au cours de sa détention au sein des locaux du SNR, M. Rukuki n’a pu recevoir aucune visite de ses proches, ni être en contact avec son avocat et a été interrogé de nombreuses fois, en l’absence de son avocat.
Après 14 jours de détention, le 26 juillet 2017, M. Rukuki a été transféré à la prison de Ngozi [4], sans avoir été auditionné auparavant par le magistrat du parquet qui l’a placé sous mandat d’arrêt [5].
La première audition de M. Rukuki par un magistrat représentant le Ministère public depuis son arrestation n’a eu lieu que le 1er août 2017. Il a été entendu par le substitut du procureur général de la République, M. Adolphe Manirakiza, qui représente le Ministère public dans les dossiers relatifs au putsch manqué du 13 mai 2015 [6.
Durant cette audition, M. Rukuki a été accusé formellement d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et de « rébellion » pour avoir collaboré avec l’ACAT-Burundi, organisation de défense des droits humains radiée en octobre 2016 [7]. Selon les autorités, l’ACAT-Burundi aurait organisé des manifestations en avril 2015 pour contester la troisième candidature de Pierre Nkurunziza à la présidence de la République, et participé au coup d’État de 2015 ainsi qu’à la production de rapports qui iraient à l’encontre des institutions burundaises. De plus, elle aurait désavoué la décision du ministère de l’Intérieur de l’avoir radiée.
Le 14 août 2017, la Chambre de conseil a tenu une audience à la prison de Ngozi, afin de statuer sur la régularité du placement en détention préventive de M. Rukuki. Durant l’audience, le Ministère public a notamment accusé M. Germain Rukuki de représenter l’ACAT au Burundi, mais sans fournir d’« indices sérieux de culpabilité » [8]. La défense a ainsi demandé la libération de M. Rukuki, alors que le Ministère public a requis son maintien en détention en attendant la conclusion de l’enquête dans cette affaire.
Le 17 août 2017, la Chambre de conseil du Tribunal de grande instance de Ntahangwa a rendu publique sa décision de confirmer le placement en détention préventive de M. Germain Rukuki.
Le 25 août 2017, le greffe du Tribunal de grande instance de Ntahangwa a notifié à M. Germain Rukuki l’ordonnance de maintien en détention, prise par la Chambre de conseil le 17 août 2017. Le même jour, l’équipe de défense de M. Rukuki a interjeté appel contre cette ordonnance devant la Cour d’appel de Bujumbura.
Le 27 octobre 2017, la Cour d’appel de Bujumbura a entendu les parties durant une audience à la prison de Ngozi, avant de mettre l’affaire en délibéré.
Durant l’audience, la parole a été accordée à M. Rukuki et ses avocats, qui ont expliqué que l’appel était fondé sur l’absence d’indices sérieux de culpabilité, puisque l’échange d’e-mails sur lequel se base l’accusation du Ministère public date de la période où l’ACAT-Burundi exerçait légalement ses activités au Burundi. Ils ont ainsi demandé la mise en liberté de M. Rukuki. Les avocats de la défense ont également souligné que plusieurs violations flagrantes des règles de procédure pénale avaient été commises depuis l’arrestation arbitraire de M. Rukuki, incluant l’absence de présentation d’un mandat d’amener lors de son arrestation, son interrogatoire dans les locaux du SNR en l’absence de ses avocats et la mise sous mandat d’arrêt sans instruction préalable, ni présence de ses avocats.
Le Ministère public s’est quant à lui opposé à la libération de M. Germain Rukuki en arguant qu’il « risquait de rejoindre les autres personnes exilées à l’étranger qui seraient impliquées dans ce dossier ».
Le 31 octobre 2017, la Cour d’appel de Bujumbura a confirmé le maintien en détention de M. Germain Rukuki.
Le 13 février 2018, le Tribunal de grande instance de Ntahangwa a prononcé de nouvelles charges à l’encontre de M. Rukuki, à savoir « assassinat de militaires, policiers et civils », « dégradation des édifices publics et privés », et « volonté de changer le régime élu démocratiquement ».
Lors de l’audience publique du 13 février 2018, la défense a argué qu’il existait encore des irrégularités de procédure dans le dossier de M. Rukuki, et a demandé au tribunal de statuer en premier lieu sur ces irrégularités avant de statuer au fond. En effet, jusqu’alors, la défense de M. Rukuki n’a eu accès qu’à trois pièces de son dossier, qui en contient 174. De plus, M. Rukuki a été assigné à comparaître à l’audience le jour-même où il a comparu, en violation du délai de huit jours imposé par la loi, entre la date d’assignation et celle de comparution. Enfin, l’introduction des trois nouveaux chefs d’accusations n’a pas été précédée d’une période d’instruction. La défense a donc ainsi fait valoir que l’assignation de M. Rukuki à cette audience était irrégulière.
Le tribunal n’a donc pas statué au fond, a autorisé la défense à se procurer une copie du dossier répressif complet et a renvoyé le dossier au 27 février 2018. Les audiences prévues les 27 février et 27 mars 2018 ont été reportées.
Le 26 avril 2018, le Tribunal de grande instance de Ntahangwa a condamné M. Rukuki à 32 ans d’emprisonnement pour « mouvement insurrectionnel », « atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et « rébellion ». Ni M. Germain Rukuki ni ses avocats n’étaient présents à la lecture de la sentence.
Le 11 juin 2018, M. Germain Rukuki a été opéré à l’hôpital de Ngozi après s’être fracturé une cheville et blessé à une épaule en prison le 7 juin 2018. Le 18 juin 2018, M. Germain Rukuki a de nouveau été transféré à la prison de Ngozi, alors que son état de santé était encore critique et malgré le fait qu’il ait demandé à rester à l’hôpital pour continuer de recevoir des soins de santé.