Nos organisations restent très préoccupées par la situation du défenseur des droits humains Dr. Alexandre Ibacka Dzabana toujours retenu incommunicado et de façon arbitraire depuis le 11 mars dans les locaux de la Centrale d’intelligence et de la documentation (CID), ex-Direction générale de la surveillance du territoire à Brazzaville, pour « tentative d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État », une infraction régulièrement utilisée par les autorités du Congo à l’endroit des activistes. Nos préoccupations concernent également le journaliste Raymond Malonga, directeur de publication du journal satirique « Sel-piment », détenu de façon arbitraire à la prison de Brazzaville. Les autorités judiciaires lui reprochent d’avoir diffamé l’épouse de Jean Dominique Okemba qui dirige le Conseil National de la Sécurité. Nos organisations appellent à leur libération.
Le jeudi 11 mars 2021, le Dr. Alexandre Ibacka Dzabana a été enlevé devant son domicile. Il est depuis détenu dans les locaux de la Centrale d’intelligence et de la documentation en violation des lois et règlements en vigueur en République du Congo mais aussi des conventions et traités internationaux et régionaux relatifs aux droits humains ratifiés par ce pays. Dans un appel urgent du 11 mars 2021, nos organisations exigeaient sa libération immédiate. La situation du Dr. Alexandre Ibacka Dzabana n’a pas évolué depuis la diffusion de cet appel et ses droits demeurent bafoués.
Depuis plus de 15 jours maintenant, nous sommes sans nouvelle directe de M. Ibacka Dzabana. Ni son avocat, constitué depuis le 12 mars, ni sa famille ou ses proches n’arrivent à entrer en contact directement avec lui, même en se rendant à l’endroit de sa détention. Nous ignorons les conditions dans lesquelles M. Ibacka Dzabana est détenu et rappelons que sa garde à vue dépasse désormais la durée légale au Congo qui est de 5 jours maximum selon l’article 48 du Code de procédure pénale congolais. Sa détention est donc arbitraire. En droit congolais, la personne gardée à vue a le droit d’être assistée par un avocat dès l’enquête préliminaire. L’officier ou l’agent de police judiciaire est tenu d’attendre l’arrivée de l’avocat commis pour procéder à des auditions ou confrontations de la personne mise en cause. Le fait d’empêcher à l’avocat d’assister son client constitue une violation manifeste du droit congolais. Cette restriction viole aussi l’Article 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) ainsi que l’Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Par ailleurs, la saisine le 12 mars 2021 du Procureur général près la Cour d’Appel de Brazzaville en sa qualité de surveillant de l’action des officiers de police judiciaire selon le Code de procédure pénale congolais n’a pas permis de mettre fin à l’arbitraire dont est victime le Dr. Alexandre Ibacka Dzabana. Âgé de 77 ans, M. Alexandre Ibacka Dzabana présente des antécédents sérieux de santé, nécessitant le suivi d’un traitement médicamenteux régulier incompatible avec une détention arbitraire. Notre crainte est d’autant plus forte que la Centrale d’intelligence et de documentation est réputée être un lieu de mauvais traitements, plusieurs cas d’actes de torture y ayant été dénoncés.
Quant à Raymond Malonga, journaliste, il a été arrêté, le 2 février 2021, sur son lit d’hôpital à Brazzaville, où il était soigné pour une crise de paludisme. Il a été placé le jour même sous mandat de dépôt pour avoir relayé dans son journal, un article intitulé : « Georgette Okemba, madame JDO a-t-elle détourné 1 milliard de F CFA au trésor public ? ». En droit congolais, toute personne peut être placée en garde à vue, s’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Or la loi congolaise ne prévoit pas de peines privatives de liberté en matière de diffamation sauf dans des circonstances très précises qui ne s’appliquent pas à cette affaire. Par ailleurs, en droit congolais, lorsque la peine maximale prévue par la loi en matière correctionnelle est inférieure à un an d’emprisonnement, l’inculpé domicilié au Congo ne peut être détenu plus de 15 jours après sa première comparution devant le juge d’instruction (art.120 du Code de Procédure Pénale). Son arrestation par des agents en civil de la CID est complètement disproportionnée et illégale dans ces conditions alors que lui sont reprochés de simples faits de diffamation présumés. Raymond Malonga souffre de plusieurs pathologies, son maintien en détention à la prison de Brazzaville ne se justifie ni sur le plan humain ni sur le plan légal.
Les détentions illégales et arbitraires de Dr. Alexandre Ibacka Dzabana et de Raymond Malonga illustrent une situation plus que jamais critique au Congo, caractérisée par une multiplication des attaques contre les libertés fondamentales de la part des autorités nationales qui pourraient s’accroître après la tenue de l’élection présidentielle le 21 mars 2021 alors que les regards internationaux se détournent du Congo. Face aux risques encourus par les défenseurs des droits humains et les acteurs de la société civile au sens large (militants pro-démocratie, journalistes, artistes et autres citoyens engagés), nos organisations exhortent les autorités congolaises à :
1. Libérer immédiatement Dr. Alexandre Ibacka Dzabana et Raymond Malonga ;
2. Respecter les droits de la défense de Dr. Alexandre Ibacka Dzabana et de Raymond Malonga ;
3. Mettre un terme à toutes les attaques à l’encontre des défenseurs des droits humains, les protéger et créer les conditions favorables à la conduite de leurs activités légitimes en faveur de la défense des droits et des libertés ;
4. Garantir le respect des libertés et droits fondamentaux, conformément aux engagements internationaux et régionaux pris par la République du Congo.
Nous demandons aux partenaires internationaux de la République du Congo de :
5. Prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre la libération de Dr. Alexandre Ibacka Dzabana et de Raymond Malonga par les autorités congolaises ;
6. Interpeller les autorités congolaises sur la situation des défenseurs des droits humains et demander la cessation de toutes les attaques à leur encontre ;
7. Renforcer leur action et mécanismes pour contribuer à la protection des défenseurs des droits humains et de l’espace civique au Congo.
Brazzaville, Lyon, Paris, Genève, 29 mars 2021